dimanche 4 février 2024

Pierre Moscovici : "L'avenir dure longtemps"


En commençant sa conférence, Pierre Moscovici a pris deux précautions oratoires : il venait présenter son dernier ouvrage Nos Meilleures années, la jeunesse, les amis, la politique et il tenait à nous dire d'emblée qu'il ne s'agissait ni de mémoires, ni d'un livre de politique actuelle. 

Pourtant, sans mettre en doute la volonté de l'auteur, nous pouvons affirmer que Pierre Moscovici fait oeuvre de mémorialiste, tant son récit personnel, parfois intime, dédié à son fils Joseph, révèle un moment de l'histoire et permet de mieux comprendre les quelques décennies passées. Et tout en gardant son devoir de réserve, le premier président de la Cour des comptes nous parle bien de politique, le passé éclairant à merveille le présent.

Alors, il y a la jeunesse, les meilleures années, les anecdotes, les liens familiaux, les filles, la vie estudiantine parisienne...A travers un récit personnel, cependant, on rencontre inévitablement une jeunesse française, issue de l'immigration, inévitablement, une collusion naturelle avec l'histoire d'un pays. Mai 68, Giscard, les convictions, la gauche contre la droite, les livres, la culture, l'attirance pour les Etats-Unis, les intellectuels marquants que fréquentaient ses parents et l'influence que cela a pu avoir sur une construction personnelle. 

Si vous lisez le livre de Pierre Moscovici, vous y retrouverez sa voix, le rythme de ses discours et l'amour de la langue qui l'anime. Sa jeunesse fut celle d'un homme qui a fait ses humanités, qui a construit son esprit avec les belles lettres, avec les mots et avec les intellectuels. Sans parler de la politique actuelle, il regrette cependant le désengagement des intellectuels dans la cité. Comment ne pas le regretter avec lui, quand la communication tient lieu de programme et de pensée, quand les repères de la gauche et de la droite sont perdus ? 

Ensuite, il y a les amis. En politique, a-t-on vraiment des amis ? Le récit intime permet de tracer le portrait du personnage : Pierre Moscovici est un homme loyal et fidèle. En revenant dans le Pays de Montbéliard, 10 ans après son départ, il raconte les débuts difficiles, les engagements auprès des élus locaux, de Joseph Tyrode, de Martial Bourquin, de Jean-Marie Bart, de Paul Coizet. Non sans une certaine humilité, il reconnait qu'il a beaucoup appris, lui, le bourgeois parisien, au contact des ouvriers, des enseignants, des syndicalistes...Ici, comme plus tard à Paris, il a noué des liens solides et tissés de véritables amitiés, en politique. Il y eut les affinités fraternelles, les rencontres intellectuelles, les copains plus fantasques. Il y eut Jospin, DSK ou Hollande. Au-delà des personnages, encore une fois, il y a l'histoire : les victoires et les revers politiques, comment conquérir le pouvoir et comment le garder, comment poursuivre un idéal et trouver des compromis sans céder à de viles compromissions ?

Tant de leçons à tirer de la petite histoire dans la grande : le modèle du gouvernement Jospin, contre l'exemple de celui de Hollande, le besoin de démocratie, la nécessité de s'inscrire dans une Europe forte, l'urgence de redéfinir la gauche et la droite face au risque immense de l'extrême droite et de l'illibéralisme qui nous guette...autant de sujets qu'analyse celui qui ne veut pas parler de la politique actuelle !

Finalement, l'ouvrage de Pierre Moscovici est celui d'un passionné de politique. Premier président de la Cour des comptes, il n'a jamais vraiment cessé d'en faire et il a surtout jamais cessé de l'aimer, passionnément. Aujourd'hui, il travaille sur des rapports extrêmement lus et commentés sur des sujets cruciaux : la dette, l'immigration, la sécurité sociale et le système de santé... Son devoir de réserve l'empêche d'en tirer des conclusions ou des orientations politiques, cependant, l'exemple de la Grèce ou plus récemment du Portugal, nous permet d'imaginer qu'une autre voie est possible. 

Lisez-le ! C'est un livre d'espoir, qui comme l'écrivait Henri Bergson, nous invite à "agir en homme de pensée et à penser en homme d'action", en empoignant le réel, en affrontant les multiples défis sociaux, environnementaux, économiques qui se présentent à nous.